Interview – Marie Pellegrin
Réserviste aux JEM de Lexington en 2010, mais gagnante en Coupe des Nations et 3ème du Grand Prix de Calgary avec Admirable, Marie Pellegrin revient au plus haut niveau avec une écurie remplie de chevaux de grande qualité. Parmi eux, l’étalon Deuxcatsix d’Eglefin, avec lequel elle a participé à la Coupe des Nations et au GP du CSIO de Falsterbo le week-end dernier.
Deuxcatsix (Vigo Cece x Bamako de Muze) est votre cheval de tête. Pouvez-vous nous parler de lui ? Quelles sont ses plus grandes qualités ? Ses petits défauts ?
Je l’ai acheté à cinq ans. Il a des capacités physiques assez démesurées, en termes d’amplitude, de moyens et de trajectoire. C’est impressionnant. Depuis Admirable, je n’avais pas monté un cheval avec autant de moyens et je me demande même s’il n’en a pas encore plus. C’est aussi un cheval très intelligent, très respectueux et très sensible. Il y a du sang, mais du bon sang. Pour un étalon. Il est très gentil. Il a toujours la porte du box ouverte à la maison. En concours, il est à côté de tous les chevaux et il n’y a pas besoin de lui mettre de l’électricité. C’est très appréciable. Si ce n’était un étalon un peu plus sanguin, un peu plus compliqué à manipuler, il ne serait pas dans mon écurie parce que ça n’irait pas avec notre fonctionnement. On est très proche des chevaux, on s’en occupe beaucoup. Ils sont beaucoup manipulés et beaucoup sortis. En plus, je n’ai quasiment que des filles à l’écurie. Donc son caractère est vraiment une grande qualité. Après, je dirais que son défaut est le défaut de ses qualités. Il est emmené par sa masse et par son moteur. Sa croupe est plus haute que le garrot. Donc on doit lui demander de tenir son garrot et son équilibre. Il doit m’écouter, mais il doit être content de m’écouter.
C’est aussi un étalon dont on commence à voir les produits en concours. Que pensez-vous de ses premiers produits ?
C’est encore un peu tôt pour dire, mais en tout cas, de ce qu’on voit, il produit avec de la taille, de l’envergure et beaucoup de chic. On voit quelques produits qui sautent vraiment, qui sortent de l’ordinaire. Après, les origines parlent aussi. Il a un papier exceptionnel. Mon père, qui est vraiment très bon dans toutes les origines, avait tout de suite adoré le papier avant même de l’avoir vu sauter. Quand il a vu le papier, il a dit “Il le faut absolument !” Il se trompe très rarement, je dois dire. Je n’achète pas un cheval sans qu’il ait vu les papiers.
Donc vous travaillez en famille.
Oui. Ma mère a un très bon sentiment. Mon père aussi, mais lui est vraiment très calé sur tout ce qui est origines. Il a une mémoire assez exceptionnelle et il est passionné. Mon sentiment sur cheval et le leur en plus. C’est comme ça qu’on choisit les chevaux. Sur le tout petit nombre de chevaux que j’achète, j’avais calculé, je crois, que j’ai 98 % de chevaux qui ont fait 4* et dans les 2% qui restent, la plupart du temps c’est parce qu’il y a eu des problèmes physiques. On a notre petit système, notre petit schéma, notre mode de fonctionnement. Les erreurs d’achat que j’ai faites, c’est quand je suis sortie de mon schéma de fonctionnement ou quand je me suis laissée un peu forcer la main et que j’ai écouté quelqu’un au lieu de faire confiance à mon sentiment. Mais c’est subjectif, parce que je n’en ai aucun qui se ressemble. Mais il faut qu’il ait une bonne tête et de bons yeux.
Il faut leur donner envie de faire.
C’est ça. J’ai besoin de collaborer avec eux. Il faut qu’ils aient envie de jouer avec moi en piste et qu’ils comprennent le but du jeu. Je ne sais pas faire autrement. Il faut que ce soit mes copains. C’est ça qui est dur à trouver comme juste-milieu avec un étalon. Je n’avais jamais monté d’étalon en piste, donc je ne savais pas trop comment m’y prendre. Ce n’est ni une jument ni un hongre. Il fallait que je trouve le mode d’emploi. Pour qu’il m’écoute, mais qu’il soit content de le faire,en fait il faut qu’il ait un peu l’impression que l’idée vient de lui.
Le week-end dernier, vous avez participé au CSIO de Falsterbo. Comment ça s’est passé.
Dans la coupe, je n’ai pas assez bien monté toute une ligne. Je fais faute sur la rivière et deux fautes après la rivière. Le reste, le cheval s’est promené. Dans le grand prix, on fait 4 points et du temps dépassé. Il faut se remettre sur ces difficultés-là, sur cette hauteur, et sur les contraintes de temps qui est encore plus court que dans les autres concours. J’étais un peu déçu de moi. Mais après, il faut tout de suite savoir où on a fait des erreurs et réagir immédiatement. Pour ce concours, c’est Olivier Guillon qui nous a accompagnés comme chef d’équipe. C’est quelqu’un de positif, fédérateur, compétent et gentil. On était vraiment très content qu’il soit avec nous.
En même temps, il faut toujours au moins faire plusieurs concours de ce niveau pour prendre la mesure de ses épreuves de CSIO5* et passer le cap pour y être compétitif.
Complètement. Là, on va aller à Hickstead la semaine prochaine. Je suis très contente de faire deux CSIO à la suite. Comme ça, je reste dans le bain, parce que c’était une reprise de contact.
Les épreuves par équipe, les Coupe des Nations, les Championnats, etc. C’est quelque chose que vous aimez ?
C’est ce que je préfère. J’ai toujours aimé ça. J’ai fait mon premier championnat d’Europe poney à douze ans et trois championnats d’Europe Poney, puis deux en juniors et trois en jeunes cavaliers. Après, j’ai fait des épreuves en équipe de France et en équipe Suisse, en seconde ligne et là, de nouveau en première ligne.
Qu’est-ce qu’elles ont de particulier, ces épreuves par équipe ?
On représente son pays, c’est la première chose. Je trouve ça beau d’aller représenter les couleurs de son pays. C’est un honneur. Dans l’épreuve par équipe, on monte aussi pour les autres. On a ce sentiment de devoir être à la hauteur pour ne pas pénaliser les autres. Cet effet de groupe est vraiment très sympa et très grisant. On a vraiment à cœur de tous réussir et de représenter le pays. Clairement, c’est toujours ce que j’ai préféré faire.
Comme à Falsterbo, le week-end prochain, vous allez être accompagné de deux autres chevaux. Floc qui est un fils de Qlassic Bois Margot et de SI Vive (qui est une fille de O’Vive, la mère de l’étalon Upsilon) et qui s’est déjà classé sur 1,50m, et Fini l’Amour (L’Arc de Triomphe x Canadian River) est régulièrement classé dans des épreuves 1,40m à 1,50m, dont 2 épreuves à Falsterbo. Ils semblent tous les deux très prometteurs.
Ils sont exceptionnels. Les deux sont déjà classés sur 1,50m et peuvent devenir des chevaux de Grand Prix 1,60m. J’ai acheté Floc à 3 ans à la famille Sisqueille, qui sont des amis de la famille. On a eu plusieurs chevaux de leur élevage, parce qu’ils ont cette souche anglo qui est vraiment très bonne. J’ai eu un coup de foudre sur lui à 3 ans. Il a beaucoup de sang. Il a toujours été très sensible. On a vraiment pris notre temps. Je me suis mis dessus en fin d’année de 6 ans. Il ne fait que progresser et montre le potentiel pour devenir un cheval de championnat. Quand j’ai commencé à sauter haut en fin d’année de 8 ans avec Fini L’Amour, il en faisait trop. Il sautait sur sa qualité et non sur la qualité de mon équitation. C’est pour ça que je l’ai baissé de hauteur d’épreuve. J’ai commencé à m’entraîner avec Pascal Levy fin mars et il m’a dit que je n’allais pas assez au bout du travail sur le plat. On est allé plus loin dans le travail avec tous les chevaux, d’abord sur le plat, puis bien sûr à l‘obstacle. Il m’a modifié pleins de petits détails qui font toute la différence à la fin pour le haut niveau. On fait un travail formidable. C’est extraordinaire tout ce qu’on a à apprendre des chevaux. On apprend tous les jours et on se remet en question tous les jours. On se trompe souvent en pensant bien faire. C’est une perpétuelle remise en question et c’est beaucoup de travail. Par contre, une fois qu’on est à l’entrée de la piste, il faut mettre tout ça de côté et être sûr de soi.
Il y a quelques jours, vous avez posté une vidéo du 7 ans Hold Up de Talma (Mylord Carthago x Baloubet du Rouet), qui montre lui aussi beaucoup de qualités.
Oui. Il montre un grand potentiel et en plus il a une super souche. J’ai aussi un six ans, Inextenso (Clarimoi x Canturo) qui vient du même élevage que Floc, qui est très vert. Il a fallu prendre particulièrement notre temps avec lui, mais je pense qu’il sort du commun.
On a l’impression que vous avez trouvé un système de formation et de fonctionnement qui vous permet vraiment d’arriver avec des chevaux juste bien comme vous voulez quand vous attaquez les beaux concours.
Avant, j’avais déjà jeunes chevaux, mais je ne les faisais pas moi-même, parce qu’on ne peut pas tout faire. Chacun son métier. Ce n’est pas le même métier de faire du jeune cheval correctement, donc je mettais mes chevaux ailleurs. Mais au final, je n’étais jamais vraiment complètement satisfaite. Ce n’est pas péjoratif du tout. Je ne critique vraiment absolument pas le travail de personne. Mais je n’ai pas les mêmes exigences que quelqu’un d’autre donc, je devais trouver une solution. J’ai décidé d’avoir mes jeunes chevaux sur place parce que je me rendais compte qu’on passait à côté de certaines choses.Je préfère les avoir sous les yeux. Déjà pour me faire une idée de la qualité. Est-ce que je dois les garder ou les vendre plus rapidement ? Mais aussi, pour voir s’il n’y a pas des petites choses physiques où on est passé à côté, ou alors des choses un peu émotionnelles, etc. Des choses qu’on ne peut voir qu’en les voyant au quotidien. Et puis, on sait que tout est fait comme on veut. On a pas de regret en se disant que ça aurait pu être différent si on les avait eus 6 mois avant. Je travaille avec Michel Grunh, qui est prestataire de service pour moi. Il me sous loue une partie de l’écurie et monte aussi des chevaux d’autres gens. Il s’occupe de mes jeunes chevaux et monte aussi mes autres chevaux quand il y a besoin. Avec moi, il n’a pas d’obligation de performance. Les chevaux sont là pour apprendre et être contents de rentrer en piste. On est raccord sur comment s’occuper des chevaux et les monter. Il profite des infrastructures, mais également des prestataires qu’on fait venir comme Bertrand de Bellabre, Patrick Allori ou encore Pascal Levy. On fait vraiment du très bon travail ensemble.
Aujourd’hui, votre piquet de chevaux est prêt pour vous permettre de vous projeter sereinement dans un planning vers le haut niveau.
Complètement. J’aurais 3 chevaux pour faire les grosses épreuves dans quelques mois. On touche du bois, on sait qu’avec les chevaux, il peut toujours arriver quelque chose, mais évidemment, c’est le plan. Là, je n’ai que Deuxcatsix pour faire les GP 5*, mais l’année prochaine, j’en aurai trois pour faire les Coupe des Nations et les Grand Prix.
Et derrière, vous en avez d’autres à préparer pour l’avenir, qui pourront être “tirés” par le piquet de tête en se formant sur les petites épreuves des beaux concours.
Exactement. J’ai Hold Up qui arrive, mais aussi un autre 7ans, Haribo du Rio (Elvis Ter Putte x Le Tot de Semilly), qui est plus vert et qui va être formidable aussi. J’ai aussi Hip Hop la Vraie Vie ( Cicave du Talus x Tinka’s Boy). Ils sont un tout petit peu en retard. Je leur laisse le temps d’évoluer et de se finir dans leur physique. À la maison, on prend notre temps. Les chevaux de 4 à 7 ans font juste un peu de concours et ils vont au champ. Je les mets au champ tous ensemble, donc c’est un peu une bande de copains.
Vous êtes fixé des objectifs ou c’est vraiment les chevaux qui vont définir la suite ?
C’est toujours les chevaux qui définissent le programme. Il ne faut jamais faire un programme en fonction de ses envies, mais les programmer en fonction des chevaux. C’est la règle. Après, évidemment, il y a des objectifs. Si tout va bien, on va essayer d’être sélectionnable pour les championnats du monde d’Aix-la-Chapelle en 2025. Entre-temps, il y a des CSIO et il y a un championnat d’Europe. De toute façon, il faut essayer, parce que 100 % des gagnants ou tenter leur chance. De mon côté, je me suis réorganisée dans cet objectif. J’ai arrêté d’entraîner, ce qui me prenait beaucoup de temps et j’ai pris un entraîneur. Je mets toutes les chances de mon côté pour faire du mieux possible pour faire du haut niveau. On a pris le temps de bien former des chevaux de qualité. Pour moi, les chevaux arrivent à maturité à 10 ou même 11 ans. Ce que je dis n’engage pas moi et je comprends bien la pression sportive, financière, de beaucoup de cavaliers qui ne sont pas propriétaires de leurs chevaux et où il faut des résultats rapides. Maintenant, il faut tout faire vite. Mais avec les chevaux, ce n’est pas possible. J’ai vraiment le sentiment que, jusqu’à 9 ans, ils prennent sur eux et on leur demande plus que ce qu’ils nous donnent naturellement. On entame le capital moral, confiance et physique. Je n’ai que 7 chevaux aux écuries, mais ce sont tous des avions.
Donc le but, c’est d’aller faire du beau sport, mais en laissant toujours la priorité aux chevaux.
C’est ma philosophie, mais ça n’engage que moi. Je peux me permettre de le faire comme ça donc je le fais comme ça. Mais encore une fois, je me mets à la place de chacun. Du moment que tout le monde fait du mieux qu’il peut avec ce qu’il a, ça me va.
De toute façon, si l’on veut que notre sport dure, il faut que le respect du cheval reste une priorité.
Oui. Dans le haut niveau, les chevaux sont mieux soignés que 80 % des gens sur la planète.
C’est évident que beaucoup de gens qui prennent position n’ont aucune idée de la vie réelle d’un cheval de haut niveau. Mais c’est quand même bien qu’il y ait des règlements qui peuvent servir de garde-fou.
Oui. Nous, professionnels, avons un devoir d’image.On doit être irréprochable. On doit être un exemple. Ça, j’en suis convaincue. Mais après, il y a aussi des règlements de la part des autorités, je parle de la fédération française et de la FEI où il y a des choses où il ne faut pas fermer les yeux. Il faut qu’il y ait des règlements stricts. Quel que soit le cavalier, il faut que la règle soit la même pour tout le monde. Bien sûr, c’est beaucoup de temps de travailler correctement à cheval, mais il n’y a pas mal d’artifices, de matériel, de choses inutiles qui pourraient être évités en travaillant correctement.
Le problème, c’est plus souvent la mauvaise utilisation de cavaliers d’un niveau en dessous, plus que le matériel lui-même.
C’est exactement ça. Charlotte Dujardin en bride, ça ne dérange pas du tout. Par contre, un mauvais cavalier dans une petite épreuve en pelham avec une gourmette serrée, oui, ça me pose un gros problème.
Pour finir, que diriez-vous sur les gens qui critiquent le fait de faire du sport avec des chevaux ?
Qu’ils ne se rendent pas compte. Mes chevaux passent avant moi. On voue notre vie aux chevaux et on passe à côté de beaucoup d’autres choses. On fait ce métier avant tout parce qu’on les aime. On est profondément passionnés et amoureux des chevaux. J’invite n’importe qui à venir dans mon écurie voir la vie de mes chevaux.