En lisant le livre de Jean-Maurice Bonneau “On y sera un jour, mon grand”, je me suis replongée dans des années de souvenirs, dans le sport et les cavaliers qui m’ont fait rêver. Il y a quelques semaines, j’ai profité d’Equita’Lyon pour lui poser quelques questions sur son livre.

Ton livre est sorti en mars 2022 et on en entend encore parler tout le temps. C’est une belle réussite !

Oui. Je pense que c’est une réussite dans le sens où il intéresse parce que ce n’est pas une biographie, c’est un récit. C’est un récit d’un peu plus de 30 ans de sports équestres et c’était le moyen d’inscrire dans le marbre des événements réussis ou perdus. Mais c’est vraiment l’histoire de notre sport. Ça intéresse. Quand je discute avec les gens qui l’ont lu et qui viennent me voir, ils disent qu’ils apprécient le fait que je les ai emmenés dans tout ce que personne ne voit, à part nous. Parce que même les journalistes n’ont pas accès à notre intimité. Les doutes, les nuits, les réflexions, les discussions, les coulisses…

Tout au long du récit, tu as été très franc. Tu n’as “protégé” personne.

Non, voilà, je n’ai pas été langue de bois. Je raconte mes angoisses, mes peurs même. Puis comment on y retourne. Ce n’est pas un livre technique, mais je raconte en détail tous les parcours de tous les championnats où on est allé. Ça, je pense que c’est une source d’inspiration. Pour le grand public qui connaît moins notre métier, c’est aussi une histoire humaine. Celle de quelqu’un, fils de paysan, qui part un peu à l’aventure sans plan de carrière et qui arrive à faire ça. Dans l’écriture j’ai essayé d’être moi-même. Jean-Louis Gouraud m’avait dit : “écrivez comme vous racontez les histoires autour d’une table”. Donc, j’ai toujours eu ça en tête en écrivant. Aujourd’hui, on en est à un peu plus de 3000 exemplaires vendus et le livre continue de se vendre parce qu’il est intemporel. De ce point de vue-là, oui, c’est une réussite dans l’édition. Chez Actes Sud, ils sont ravis parce que dans leur collection “arts équestres”, c’est celui qui, actuellement, est le plus vendu. Je pense que celui de Kamel sur Eric Lamaze va battre les records. Et c’est tant mieux parce qu’ils ont accepté d’éditer deux livres dans cette collection-là, qui enfin marche. C’est encourageant. Un livre, c’est quelque chose qui reste. Je suis vraiment content de l’avoir fait.

C’est un exercice inédit pour toi. Ça a été difficile ? Agréable ?

Ça a été agréable. Je disais que c’était mon compagnon. De plus c’était pendant la Covid, où on était bloqué. Quand je m’y suis mis, je me suis fait happer. Comme j’écrivais sur l’ordinateur, j’avais toujours un cahier de notes avec moi, dans l’avion ou dans le train. Je déblayais un peu le chapitre, puis après, je le retapais, j’appelais une ou deux personnes pour le lire. Ça a été dix mois d’écriture et en tout deux ans, avec les corrections que j’ai faites avec Sophie Pertus, qui m’a été recommandée par Jean-Louis Gouraud. Elle n’a pas essayé de réécrire le texte, nous avons fait les corrections avec harmonie. L’ensemble de l’exercice a été pour moi une expérience vraiment intéressante. Puis, il y a la phase d’après, qui est une émotion intense. Quand il est édité et que tu l’as dans les mains. C’est assez émouvant en fait. La photo de couverture, c’était un souhait de Jean-Louis Gouraud. Par contre, le titre, je ne l’avais pas. Et quand j’ai raconté ce passage là avec Jean Rochefort, dans une tribune de Dublin, ça m’a paru une évidence. Il y a pas mal de choses dans ce livre, ma famille, Jean, bien évidemment. Je pense qu’il m’a aidé à écrire ça, parce que de l’avoir côtoyé m’a aidé à élaborer ma manière de m’exprimer en l’écoutant. C’était aussi une façon de rendre hommage à Jean.

On sent qu’il y a toujours beaucoup d’émotions quand tu parles de lui. Même à cet instant, je vois que ça te touche de parler de lui.

Toujours. Chez moi, j’ai pas mal d’objets. J’ai racheté des collections de films. J’ai une boîte dans laquelle j’ai mis toutes les coupures de presse suite à son départ. Il y avait notamment une du journal du dimanche qui disait : “Vous nous manquez déjà Monsieur Rochefort”. Ce n’est pas quelqu’un qu’on oublie. Il n’est plus là physiquement, mais il est là.

Je ne sais pas si les gens de l’extérieur se rendent compte à quel point il a compté pour les gens qui l’ont croisé dans notre milieu. Même seulement quelques instants, en échangeant quelques phrases.

C’était un cadeau. Il a été un promoteur incroyable pour notre sport. Tout le monde, encore aujourd’hui, me parle des JO d’Athènes où il a été commentateur pour France télévision. On n’a jamais fait autant d’audience. C’était Jean, il aimait. Il n’était pas dans la recherche du gain. Il a fait confiance à des jeunes réalisateurs, pour des films qui n’avaient pas forcément de succès commercial. Mais lui, intellectuellement, ça lui plaisait. Il a quand même été celui qui a mis le pied à l’étrier de Guillaume (Canet) dans le milieu du cinéma. Le premier film qu’a tourné Guillaume, c’était avec Jean, c’était Barracuda. Jean, sa générosité, sa passion, ce n’était pas une façade. C’était quelqu’un d’extrêmement sincère et donc, du coup, ce livre, avec cette couverture, elle veut dire beaucoup.

Quand tu t’es replongé dans tous ces souvenirs, comme tu le dis, les réussites comme les échecs, comment as-tu vécu ça ? Ce n’est pas facile d’un coup de se replonger dans tous ces moments…

Quand j’écrivais, mon bureau, c’était un capharnaüm parce que je ressortais toutes mes notes et les vieux magazines pour retrouver les noms de tous les chevaux. J’avais aussi toutes les listes de départs de tous les championnats. Je me plongeais dedans et quelquefois, quand j’étais tout seul, d’un coup je réalisais qu’il était déjà 3h du matin et qu’il fallait que j’aille me coucher. Il m’est arrivé de pleurer devant mon ordinateur en écrivant certains passages. Il m’est arrivé de rire tout seul sur certains passages. Tout ça, c’est un mélange. Ça a remué des souvenirs enfouis et ce n’était pas toujours confortable. Mais je pense que c’était important, d’avoir tout sorti et tout assumé. Tous les passages qui sont très personnels sur les cavaliers que je mentionne : Gilles, Eric Navet bien sûr, Kevin, Eugénie A, etc, après avoir écrit le passage, je leur en faisais lecture. Je me souviens, quand je parle d’Athènes et de cette fameuse détente avec Dollar. J’appelle Eric, il est aux États-Unis, il est sur la côte ouest. Il doit être 21 h pour moi, on a fini à trois heures du matin. Quand je lui fais lecture du passage en question, au bout d’un moment, j’ai l’impression que la ligne est coupée. Il y a un silence incroyable. Je demande “ Éric, tu es toujours là ? ” Grand silence… Et là, je ne me sens pas bien. Je me dis : “Qu’est-ce que je fais ? ” Il reprend la parole et il me dit : “Momo, non, je suis là. Là, tu viens de soulever un couvercle que j’avais bien pris soin de fermer.” Là, je ne me sens vraiment pas bien. Le connaissant et sachant ce qu’on a vécu, ce qu’il a vécu, “le fameux acteur principal dans un film d’horreur”, comme il l’avait dit à la presse. Je lui propose d’enlever le passage et il me répond “Surtout pas”.

Ça se sent quand on le lit.

Le même Éric m’a remercié d’avoir écrit pour que notre histoire de Jerez reste dans le marbre. C’est une histoire d’hommes. Une histoire humaine. Ce livre, c’est un livre de sincérité, qui peut s’adresser à plein de gens. Je l’ai dédicacé à mes enfants, pour leur expliquer où j’étais et ce que je faisais quand j’étais absent. Ils ne le savaient pas forcément, surtout dans les moments difficiles, parce que je n’en parlais pas chez moi. Clara m’a dit qu’elle avait essayé de superposer où elle en était à l’époque où je vivais telle ou telle chose. Aujourd’hui, elles – Alix – Clara – Diane peuvent comprendre l’engagement que j’ai mis dans ces missions-là et je pense qu’elles en sont fières.

Dans ton livre, pour les gens comme moi qui ont connu cette époque, on retrouve la beauté de notre sport, celui qui nous faisait rêver.

Oui, j’espère. Nostalgique d’une époque qui a changé. C’était une époque d’ouverture, mais le système et le circuit ont changé. Ce que fait Julien Épaillard est très impressionnant. Mais il ne faut pas oublier qu’il a fait les juniors et les épreuves jeunes cavaliers avec des chevaux des Haras Nationaux. C’était un système gagnant – gagnant. Les jeunes cavaliers avaient des bons chevaux à monter et les Haras Nationaux des cavaliers pour valoriser leurs chevaux. À cette époque, les HN étaient les propriétaires des principaux chevaux (First de Launay, Flipper d’Elle…). Aujourd’hui la donne est différente, c’est comme ça.

À l’époque, tu as tout ouvert. Aux cavaliers, mais aussi aux passionnés. Tu as rendu le haut niveau plus humain et plus accessible.

Je n’ai jamais oublié le gosse que j’étais. J’allais au concours de La Beaujoire. À l’époque, c’était le concours équivalent de Lyon dans mon coin. Je voyais toutes les stars, j’avais quinze ou seize ans et je me disais que je ne pourrais jamais aborder ces gens-là. Quand je me suis retrouvé à travailler avec eux, à les côtoyer, à entraîner le fils de Marcel Rozier, à entraîner l’équipe du Brésil de Nelson Pessoa, c’était un truc de dingue ! Je ne pouvais pas le garder pour moi, il fallait que je le partage.

Tu avais aussi ouvert à d’autres “méthodes”.

Ma méthode reposait sur le physique, la technique et le mental. Je m’étais ouvert à d’autres sportifs comme Fabien Galtier, que j’avais fait venir et qui est aujourd’hui entraîneur de l’équipe de rugby. Il y a 20 ans, je parlais de préparation physique et préparation mentale. Ils m’ont regardé avec des yeux ronds quand je leur disais de venir avec un survêtement. Aujourd’hui les meilleurs cavaliers vont pour la plupart à la salle de fitness de leur hôtel après avoir monté leurs chevaux.

C’est génial. Je trouve que tout ça, ça nous rappelle pourquoi on aime ce sport.

Tant mieux, parce que, encore une fois, je n’ai pas fait d’exercice de style. Les gens qui me connaissent me retrouvent. Le livre reste quand même quelque chose d’assez incroyable, quand on regarde bien. Cette transmission est intemporelle.

Tu as fait beaucoup de choses. Tu es toujours aussi passionné par ce que tu fais ?

Oui, je suis toujours autant passionné. Je suis très impliqué avec la Young Riders Académie. Je travaille avec des cavaliers qui partagent ma vision du sport. J’aime être un passeur et je suis heureux de voir continuer à évoluer les cavaliers de l’équipe brésilienne qui viennent du système qu’on avait mis en place en 2011.

Le sport d’aujourd’hui te fait encore rêver ?

Pas toujours. Mais je suis admiratif de l’équitation pratiquée aujourd’hui par des cavaliers comme Julien Epaillard, Kévin Staut, les suédois… Tous ces grands champions ont une équitation formidable. C’est plus dans le fonctionnement du sport que je ne me retrouve pas. L’accès au très haut niveau n’est pas aisé quand on n’est pas dans les 30 meilleurs mondiaux et il ne faudrait pas que l’unique ticket d’entrée au haut niveau soit les tables.

On ne peut pas dire que c’est une question d’argent, vu les moyens qu’il y a aujourd’hui sur les gros concours.

Effectivement, il y a beaucoup plus de dotations qu’avant, mais en même temps la pratique du haut niveau coûte également très cher. Il y a donc une réalité économique, mais préservons l’âme et la philosophie de notre sport. L’accès sur certains circuits comme le Global Champions Tour est difficile si on ne trouve pas de financement pour y rentrer. Le seul circuit où le sélectionneur peut encore choisir qui envoyer, c’est les Coupes des Nations. Le circuit de CSIO3* est une très bonne chose. Mais le circuit super ligue regroupe beaucoup moins de concours (5) qu’avant. De l’autre côté on a un circuit avec un sponsor concurrent qui est sur les plus beaux concours (La Baule, Aix, Calgary, Rome, etc). Pour moi, les Coupes des Nations doivent rester à 4 cavaliers, mais dans le nouveau circuit 5*, en 2ème manche, ils partent seulement à 3. Ils ont même envisagé les Coupes des Nations en une seule manche. Déjà les JO à trois… Au début, je trouvais qu’il y avait des avantages sur le côté drame, mais finalement, après avoir vu Tokyo, je me dis : Non, on ne peut pas imposer ça. Ce n’est tellement pas logique d’aller dans cette direction là. Ma voix ne pèse pas lourd. Même Steve Guerdat qui a mouillé la chemise, même Kevin… On s’aperçoit que ça ne change pas grand-chose. Ça, ça m’inquiète énormément. Maintenant, je n’ai pas la solution puisque, visiblement, les décisions sont prises dans une autre direction.